Peindre l'invisible et bousculer les codes.
"J'ai imaginer l'imaginaire des femmes modèles de notre temps. J'ai récupéré des photographies de mode réalisées par Jean-Noël L'Harmeroult, et j'ai commencé à jouer sérieusement. Depuis ma plus tendre enfance, les plus belles femmes du monde défilaient à la maison. C'est avec beaucoup d'humour qu'en 2011 j'ai voulu leur rendre hommage en transformant la mode en peinture... JN+C est né." CLH
«A partir des clichés de Jean-Noël L’Harmeroult, positifs originaux ou négatifs solarisés
d’un bleu électrique profond, Charlotte L’Harmeroult recadre, habille ses modèles féminins
de couleurs vives au moyen de multiples techniques : bâtons à l’huile, pastel sec et gras,
fusain, acrylique à la bombe. Elle ouvre ainsi les portes d’un monde nouveau, où la
combinaison des formes et des matières est sans limite : c’est le monde de Gandhara.
Charlotte redessine les silhouettes, accentuant leur sinuosité par des hachures épaisses,
des entrelacs rapides. Son trait les magnifie telle une seconde peau. Elle les affuble parfois
de scotch coloré, jaune ou orange flashy, tatouant leur corps de messages mécaniques,
lumineux. C’est un univers en mutation, où la nature laisse place à l’artifice, au virtuel
(«Fragile», «Do Not X-Ray»). Pour certains portraits au cadrage serré, la matière colorée se
fait plus dense : Charlotte ici métamorphose les corps et les visages, les réduisant violemment
à des formes géométriques, presque abstraites, dans l’esprit d’un Karel Appel. De manière
plus expérimentale, elle compose aussi des œuvres très graphiques, où l’être se mêle à la
lettre, sous le sceau symbolique d’A.R. Penck. Elle écrit à même le papier photo des légendes
improvisées, réinventant l’histoire de chaque cliché : «Tic Tac, T. Toké de Téko»,
«O.L.A. Ruiné», «Decor de toi», «Bla Bla Bla». L’humour de Marcel Duchamp plane au-
dessus de ses créations pleines de fraîcheur, de gaieté. L’esprit enfantin rejoint l’instinct
animal, deux versants omniprésents chez l’artiste chasseur de beauté. Au cœur de la matière
photographique, Charlotte L’Harmeroult fait ressurgir l’énergie en présence. Gandhara est un
croisement de regards, ceux de Jean-Noël et de Charlotte, incisifs et complémentaires dans
leur création, mais aussi bienveillants à l’égard de leurs modèles, femmes sublimes, à la fois
objets et égéries d’une société contemporaine en mal d’absolu, de paradis perdu. Mais ces
Vénus glacées font écho à d’autres belles plus anciennes, nées dans la plaine du Gandhara,
région située au nord-ouest de la péninsule indienne. Carrefour de nombreux peuples
parcourant la route de la Soie, le Gandhara fut, du 1er au 5e siècle de notre ère, le creuset
d’un art gréco-bouddhique, suite à la conquête d’Alexandre le Grand et l’éveil spirituel de
Siddhārtha Gautama. Autre rapprochement étonnant : le Gandhara correspond aujourd’hui
au territoire de l’Afghanistan, pays où les femmes doivent la plupart du temps se voiler de
la tête aux pieds. Or le bleu sourd de leur burqa fait un étrange écho au bleu solarisé des
clichés signés L’Harmeroult… Charlotte voile souvent ses déesses d’adhésifs protecteurs,
non pas pour cacher mais pour sublimer leur beauté, leur fragilité. Gandhara est ainsi un
hymne au féminin, à son évanescence comme à sa permanence, entre les civilisations
d’hier et d’aujourd’hui.»
Sandrine Cormault, historienne d’art
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