JN+C, telle une évidence qui sonne et résonne. Un père, sa fille, unis par la vie, à jamais. Comme pour ressusciter certaines œuvres passées de Jean-Noël,Charlotte réinvente les photographies. À coups de pinceaux, de folie, de rage ou d’amour. Le tout avec une certaine pudeur. Ces œuvres, enfantées par deux esprits à l’empreinte artistique distincte, font en ce moment l’objet d’une rétrospective à Rouen après avoir habité l’écrin Mauboussin de la Place Vendôme. Rencontre coup de cœur pour duo de choc et de charme.
Comme vous le savez, à la
Factory nous avons un penchant tout particulier pour les personnalités touchantes, qui nous transpercent dès la première seconde. D’un regard, un mot, d’un sourire qui séduit. Lorsque j’ai rencontré
Charlotte dans le Berlin glacial du mois de décembre, j’ai immédiatement pressenti « ce-je-sais-quoi » d’attirant et de mystérieux qui bouillonne en elle. Quelques mois plus tard, l’hiver a laissé place aux jours permissifs, et c’est au détour d’un café parisien que je la retrouve. Mais pas seule. Accompagnée de
Jean-Noël, les
L’Harmeroult m’offrent une plongée dans leur binôme aussi indépendant (car ils ne travaillent jamais ensemble -physiquement parlant-) que transcendant par la passion dévorante qui émane d’eux. A
deux.
Le mot qui les définit ? Complice. Avec une pointe de malice. Pour comprendre
JN+C, il faut se transporter dans le temps de l’enfance. Insouciant. Celui durant lequel
Charlotte, âgée de 3 ans, trône d’or et déjà sur une place de choix en pointant du doigt le tirage de son père qui fera la prochaine couverture de tel ou tel magazine de Mode institutionnel. Des studios italiens de la Maison d'Édition
Rizzoli au cœur de la rue d’Artois de Paris où défile la smala du
Marie Claire, sans oublier le mythique groupe
Condé Nast. Car oui,
Jean-Noël a connu la gloire des plus grands photographes de Mode de son temps. S’il passe sa jeunesse dans un petit village andalous au rythme du champ des cigales, dès 18 ans il intègre la rédaction du
Elle Magazine sous l’égide de
Peter Knapp, directeur artistique de renom. Signant très vite les « Idées-Elle » de la fin du magazine français qui lui permettent de s’inspirer des
Newton, Toscani et j’en passe, il découvre la « photo esthétique » et sa vision de la femme s’affirme jour après jour. Deux ans plus tard,
Marie-Claire fait appel à lui. S’en suit 15 années de flash dans la figure, d’instantanés intemporels, d’
Inès de la Fressange qu’il révèle au grand jour, et plus de 150 voyages afin d’immortaliser la Mode sur papier glacé. Il devient « le photographe de la couleur ». Mais pas que. Parallèlement, la peinture occupe une place prépondérante dans sa vie. Et celle-ci fait bien les choses. Incontestablement. Dans la maison de sa tante, l'écrivain
Kabbaliste Dominique Aubier, à Carbonéras en Espagne, bon nombre de célébrités de la peinture se joignent à elle, notamment pour rédiger des textes d'expositions à leurs sujets et échanger des idées aussi bien associées à la littérature qu'à l'art et à la culture en général… Il y côtoie le gotha de l’art pictural, de
Jésus-Rafael Soto à
Alfred Manessier en passant par
Soulages et
Picasso. Ils l’encouragent et (in)consciemment lui donnent l’envie de continuer, continuer à s’exprimer et à raconter des histoires. « Quand je partais faire des editos, je me moquais de l’image en soit, ce qui m’apportait avant tout c’était l’équipe et ce que nous allions vivre. La connivence et l’alchimie, c’est ça qui comptait ».
Pendant ce temps
Charlotte grandit dans les jupons de sa maman styliste. « Je n’ai jamais voulu être photographe. Cependant j’ai toujours aimé le travail d’équipe entre créatifs que j’ai découvert en voyageant avec mon père dès mes 15 ans ». De ces premières collaborations sous-jacentes dans le garage de leur maison où la famille projette les photographies des derniers shootings, elle en garde des étoiles plein les yeux mais signe également son envie d’affirmation dans un univers qui lui est propre. Elle intègre les Ateliers des Beaux Arts en lithographie et met à profit ses connaissances autant dans la photographie que la vidéo ou que la peinture. Ces œuvres sont repérées et traversent l’Atlantique pour atterrir à New York dans les foires d’Art Contemporain. Puis, comme le cri de la liberté et du renouveau, elle quitte la France pour poser ses valises et son âme à Berlin. Dans un atelier d’artistes, elle se découvre et jaillit alors des émotions qui font des ses performances des représentations identitaires et personnelles, remplies d’
Elle. Ici et là, avec parcimonie.
2010. Quelques années ont passées.
Jean-Noël s’extirpe peu à peu du milieu photographique pour s’abandonner dans la peinture. A l’instar d’un bouclier qui le lie à la réalité, il peint sur ces anciens clichés.
Charlotte le pousse alors à peindre sur de la toile plutôt que sur les pages imprimées. Un jour, à l’aube de l’anniversaire de sa fille,
Jean-Noël décide de lui faire un tableau. « Je n’arrivais pas à le finir, et je commençais à être paniqué à l’idée de n’avoir rien à lui offrir le jour J ! J’ai donc demandé à Charlotte de me donner un coup de main ».
Charlotte, le regard pétillant me répond « Je n’arrivais pas, je ne pouvais pas peindre sur sa toile, je sacralisais bien trop ce que mon père réalisait ! ». « Ah bon ? Tu ne peux pas ? Tu veux que j’essaie ?! ». Prenant un pot de peinture, il explosa des pigments sur la toile. Quelques heures après, le coup de main de Charlotte se transforma en coup de pinceaux, et la peinture sanguinaire et masculine de son père fut imprégnée de la douceur des notes de pastels de sa fille. Résultat ? Leur première œuvre commune, nait du hasard : ça sera la genèse de
JN + C.
Et, comme la vie, le hasard fait bien les choses. Ils en sont la preuve. Au fur et à mesure, Charlotte s’approprie les travaux de son père et prend des morceaux de vie pour en recréer une autre. Un soir, elle tombe sur les clichés «
Blue Book » dédiés à la Mode et la Beauté, que Jean-Noël avait mis à la poubelle. « Tu ne vas pas les jeter, je peux les emmener avec moi à Berlin ? ». Le fruit de cette simple interrogation ? Une collection de 10 toiles dont Charlotte injecte son aura et son art et dont
Alain Némarq, ami de la famille et Président de
Mauboussin s’amourache au point de les exposer Place Vendôme en juin 2013.
« J’aime l’idée que ce soit confondu… Où est la photo, où est la peinture. Où est le père, où est la fille » me glisse
Charlotte entre deux anecdotes. Cette phrase, ces mots, transpirent de leur duo. Et aujourd’hui, comme le début d’une nouvelle aventure commune,
Birth, Mind (Blue Book) et
Matter -les trois thèmes qu’ils ont conceptualisé entre Normandie et la ville berlinoise- s’exposent à Rouen jusqu’au 3 mai à la
Galerie Manufacture 45. Une première, qui est loin d’être la dernière. Car l’amour est universel. Et comme ils le disent si bien «
tout est une affaire de transmissions de valeurs ». A bon entendeur.